Facebook et les traitements thérapeutiques
Un ami m’a proposé une réflexion intéressante. Il m’a envoyé une image trouvée sur Facebook en me demandant ce que j’en pensais. Cette image était assez simple : un corps svelte tenant une affiche sur laquelle il est écrit « People with depression do not need a doctor and a bottle of something that rattles. They need a pair of running shoes and fresh air ».
Même si le message de cette image est assez clair : se libérer de la médication et préférer des techniques thérapeutiques non médicamenteuses, il me semble assez important d’y réfléchir à deux fois. En effet, ce genre d’image « motivational statement » pullule sur Facebook et les textes associés sont plus ou moins pertinents mais peuvent aussi être mal interprétés. Pire, ils peuvent véhiculer des injonctions qui peuvent amener de la confusion chez certaines personnes.
Avant d’aller plus loin, il faut rappeler que le choix thérapeutique est personnel. Chaque personne a le droit de choisir quel traitement utiliser pour soulager une maladie ou difficulté. Par exemple, certaines personnes vont traiter les symptômes du rhume avec des médicaments, d’autres avec des plantes ou encore avec de l’homéopathie. Bien que certaines méthodes aient fait davantage leurs preuves au niveau scientifique, il me semble impératif de respecter le choix de chacun. La finalité est que la personne se sente mieux.
Malgré cela, cette publication me dérange fortement. Pas tellement car elle propose une solution, qui soit dit en passant peut être très efficace dans certains cas, mais parce qu’elle propose au lecteur une injonction qu’on peut sous-entendre comme : « Ne prends pas ces médicaments (négatif), va courir (positif) ». Cette image donne une injonction thérapeutique et c’est là que réside le danger. Dans un monde de plus en plus connecté, où les sources fiables sont de plus en plus dures à repérer et où l’esprit critique semble chuter de manière vertigineuse, les internautes sont soumis à de plus en plus d’injonctions ou de « conseils » tels que ceux-ci, via de nombreux médias (TV, réseaux sociaux, amis ou connaissances, publicités…).
Qui/que croire alors ?
Je prends pour exemple la nouvelle gamme de produits de santé et de conseils de Gwyneth Paltrow, qui bénéficie plus de sa renommée dans le show business que de réelles connaissances en médecine. Par exemple, elle va conseiller de prendre des compléments d’iode. Cette recommandation peut s’avérer dangereuse si les doses sont excessives. Elle préconise également l’introduction d’œufs de jade dans la cavité vaginale. S’ensuit alors un effet de groupe classique, grâce auquel les personnes qui adhèrent à ce genre de discours vont interagir de manière privilégiée entre elles, ce qui va engendrer une radicalisation de leur position : elles vont être encore plus convaincus de l’utilité de marché pieds nus dans l’herbe pour soigner l’arthrose et les insomnies. L’exemple des « anti-vax » est criant. Nous avons vu une résurgence de maladies graves dans certaines contrées où elles savaient été éradiquées. Je prends l’exemple de la rougeole aux USA.
Bien que ces phénomènes puissent sembler anodins, ils peuvent engendrer un processus de prosélytisme. Les positions de chacun vont se renforcer, et le dialogue se complique, ce qui peut au final mener au rejet de l’autre ainsi que de sa pensée, comme si une seule personne détenait la vérité sur la bonne manière de se soigner. Alors je vous entends déjà venir : « Mais dis Quentin, tu dis que tout le monde a raison et tu tapes sur les anti-vax et Gwyneth… ». Oui en effet et je ne retire rien pour la simple raison que ces deux mouvements sont plus ou moins dangereux. En effet, ils se basent sur des « théories » non fondées scientifiquement, non « evidence based ». La ferveur des membres de ces groupes est telle qu’elle peut influencer certaines personnes et de facto les mettre en danger. Je me suis moi-même retrouvé devant la situation d’une personne qui refusait de prendre un traitement lourd (chimiothérapie) car elle était persuadée que c’est la chimiothérapie qui tue les gens. Ce monsieur citait toutes sortes de sources qui avançaient des informations douteuses et renvoyant vers des études aux qualités scientifiques médiocres.
Mais revenons à cette image de Facebook. La dépression est un trouble psychiatrique qui varie dans son expression, son apparition, son intensité et son vécu. Pour rappel, voici les critères DSM afin de diagnostiquer une dépression (APA, 2013) :
Au moins 5 des symptômes suivants ont été présents durant la même période de deux semaines et représentent un changement par rapport au fonctionnement précédent : au moins un de ces symptômes est soit (1) une humeur dépressive, soit (2) une perte d'intérêt ou de plaisir. Remarque : Ne pas inclure les symptômes qui sont clairement attribuables à une autre condition médicale.
- Humeur dépressive présente la plus grande partie de la journée, presque tous les jours, comme signalée par la personne (p. ex., se sent triste, vide, désespérée) ou observée par les autres (p. ex., pleure). (Remarque : Chez les enfants et les adolescents, peut-être une humeur irritable).
- Diminution marquée de l'intérêt ou du plaisir pour toutes, ou presque toutes, les activités, la plus grande partie de la journée, presque tous les jours (signalée par la personne ou observée par les autres).
- Perte de poids significative en l'absence de régime ou gain de poids (p. ex., changement de poids excédant 5 % en un mois), ou diminution ou augmentation de l'appétit presque tous les jours. (Remarque : Chez les enfants, prendre en compte l'absence de l'augmentation de poids attendue.)
- Insomnie ou hypersomnie presque tous les jours.
- Agitation ou ralentissement psychomoteur presque tous les jours (observable par les autres, non limités à un sentiment subjectif de fébrilité ou de ralentissement intérieur).
- Fatigue ou perte d'énergie presque tous les jours.
- Sentiment de dévalorisation ou de culpabilité excessive ou inappropriée (qui peut être délirante) presque tous les jours (pas seulement se faire grief ou se sentir coupable d'être malade).
- Diminution de l'aptitude à penser ou à se concentrer ou indécision presque tous les jours (signalée par la personne ou observée par les autres).
- Pensées de mort récurrentes (pas seulement une peur de mourir), idées suicidaires récurrentes sans plan précis ou tentative de suicide ou plan précis pour se suicider.
- Les symptômes entraînent une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d'autres domaines importants.
- L'épisode n'est pas imputable aux effets physiologiques d'une substance ou d'une autre affection médicale.
Hormis tous ces critères, il faut aussi déterminer si la dépression est endogène (moins bon pronostic) ou exogène (meilleur pronostic). La dépression endogène se déclare d’elle-même. C’est un état de soi qui survient à un moment donné sans déclencheur externe, c’est la forme la plus résistante. La dépression exogène (ou réactionnelle) se déclare après un événement donné (rupture, deuil, licenciement, etc…) et généralement se traite plus facilement. Dans cette dernière forme, il y a un effet non négligeable du temps tandis que dans la première forme le temps qui passe n’améliore pas le vécu de la personne.
Quand on voit le nombre de critères, on peut se demander si une simple course à pied et un bon grand bol d’air suffira à améliorer la situation…
MAIS !!!
Effectivement, dans la dépression réactionnelle, l’aboulie (la perte d’envie et de motivation) de la personne peut être vaincue par le renforcement reçu après une activité valorisante. Par exemple, je peux me motiver à aller à la salle de sport. Il s’en suivra sans doute une sensation de bien-être après l’entrainement. C’est cette sensation de bien-être qui va contrer l’aboulie et permettre à la personne de sortir petit à petit de l’inactivité caractéristique de la dépression. C’est le principe de l’activation comportementale qui est une des thérapies psychologiques les plus étudiées et validées actuellement dans le cadre du traitement de la dépression.
Néanmoins, il y a un problème de taille… Pensez-vous que si vous vivez avec tous ces critères de la dépression vous aurez la force de vous lever le matin alors que vous n’avez pas d’énergie, surtout pour aller faire quelque chose que vous n’avez pas envie, parce qu’on vous a donné un conseil que vous n’avez pas demandé ?
Cliniquement parlant, les personnes qui consultent pour dépression font déjà un effort immense en se déplaçant pour un rendez-vous. Elles le font souvent car elles se sont engagées, et donc il y a ce qu’on appelle une motivation externe (le thérapeute attend le patient). Lorsqu’il n’y a pas cette motivation externe, il arrive que la personne ne fasse juste rien… ou presque… Elle développe des ruminations concernant des faits ou des souvenirs négatifs, ce qui va renforcer les symptômes de la dépression et donc rendre encore plus difficile une mise en action de la personne. Dans un cercle vicieux pareil, se lever de son lit pour prendre une douche peut sembler inconcevable… On ne se pose donc même pas la question de la course à pied. C’est là qu’entrent en action la médication et le suivi thérapeutique. En effet, dans une telle inertie, il est très difficile d’arriver à activer une personne. Une des options souvent employées est l’hospitalisation, afin de casser les cercles vicieux de la dépression : inactivité, rumination, isolement, perte de plaisir, etc…. Cependant, sans aménagement comportemental à la sortie de l’hôpital, l’effet cocon de celui-ci s’estompe rapidement et la personne réintègre son cercle vicieux. Le médicament (en général un antidépresseur) permet à la personne de ne pas se laisser entrainer si facilement dans ses pensées et considérations négatives. Cela libère des ressources qu’elle peut investir dans des activités plaisantes dans le but de ressentir des émotions positives ou même simplement de s’activer. Et c’est à ce moment-là que la course à pied, ou une activité physique quelconque, peut entrer en jeu comme source de plaisir ou simplement comme distracteur. De plus, certaines théories de la thérapie sensori-motrice montrent que la dépression a tendance à retirer l’énergie de la personne. L’activation physique, grâce au sport par exemple, permet de ramener l’énergie dans le corps en le stimulant. En résumé : faire le contraire de ce que la dépression nous donne envie de faire.
Cette image vue sur Facebook propose aussi une chose très problématique pour les personnes déprimées. Elle dicte une injonction à des personnes qui la plupart du temps auraient bien envie d’aller courir mais qui ne s’en sentent pas capables. Cela peut dès lors réactiver le sentiment d’impuissance et/ou de perte de contrôle et donc de renforcer le vécu dépressif.
En conclusion, ce genre d’images que nous voyons régulièrement sur Facebook part d’une bonne intention. Elle a pour but de motiver et de fournir une solution rapide et claire. Dans le cadre d’une petite déprime passagère, peut-être ce genre de conseil peut-il être utile. Mais le trouble mental, comme une dépression avérée, ne se règle pas aussi simplement malheureusement. Le suivi thérapeutique doit être personnalisé et d’une intensité telle que le patient doit être capable de suivre son déroulement. Des contraintes trop fortes forceront un décrochage du suivi mais une activation trop faible ne cassera pas le cercle vicieux.
La meilleure manière, selon moi, d’aider une personne en dépression est d’être présent pour elle, l’écouter et prendre en compte ses difficultés. Un accompagnement thérapeutique est nécessaire si la dépression dure plus de deux semaines avec les critères cités ci-dessus. Parfois le travail cognitivo-comportemental est mis en échec par des ruminations trop fortes et une inertie massive, c’est alors que l’aide médicamenteuse peut apporter un réel secours pour autant que sa consommation soit suivie par un médecin psychiatre.
Référence :
- American Psychiatric Association. (2013). Diagnostic and statistical manual of mental disorders (5th ed.). Arlington, VA: Author.
- Ghaemi, S. N. and Vöhringer, P. A. (2011), The heterogeneity of depression: an old debate renewed. Acta Psychiatrica Scandinavica, 124: 497-497. doi:10.1111/j.1600-0447.2011.01746.x
- https://goop.com/
- https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/15153744